La pensée mongole sait que le combat des corps est devenu inutile, elle semoque des prouesses et des idéaux… modernes (…).
Le regard de la pensée mongole se pose sans pitié sur tous les ennemis de la vie libre (…).
La pensée mongole est pures flèches. Un regard qui soit pures flèches.
Des œuvres qui soient pures flèches. Pures flèches le mot est dit.
Être pures flèches, continuellement pures flèches, continuellement impitoyablement pures flèches de façon que sous l’œil si sombre de cette pensée stimulée par le corps en révolte, l’ordonnance vraiment trop mathématique de ce monde se détraque assez pour justifier le décochement sans répit des pures flèches.
Pures flèches comme se débloquant sans cesse de l’âme revivifiée devenue arc.
Pures flèches folies en nous débloquées sifflantes abondamment tirées (…).
Pures flèches frappant organisateurs coordonnateurs de l’uniformité frappant chimies et physiques et toute la froide crapulerie des entreprises en cours contre l’humaine plénitude.
Pures flèches infatigablement fusantes, jaillissant de nos rires de nos tripes de nos désirs enfin débloqués.
Pures flèches comme si débloquer bander l’arc et décocher n’étaient qu’un seul et même geste, beau comme la première pulsion du premier homme (…).
Pures flèches ouvrant verrous, dédomestiquant bêtes et valets.
Pures flèches retuant papes et dictateurs et dieux.
Pures flèches tournant sur elles-mêmes puis filant en oblique allant trouer démanteler Livre du Mensonge et Forteresse de Fric (…).
Pures flèches rasant sans fin la terre humiliée.
Pures flèches encore,
Pures flèches, ces perclus se redressant se jetant dans les bras de leurs frères qui fulgurent (…).
Pures flèches ces tigres nés de l’éclatement des zoos sous le soleil de feu.
Pures flèches ces oiseaux noirs dans le ciel de tes yeux ces schismes ailés ces arrachements au sol.
Pures flèches ces refus endiablés du conditionnement, ces objections aux philosophies carcérales ,à l’infamie de penser court, étroit, mondain.
Pures flèches.
Pures flèches les unes avec lambeaux en flammes s’entortillant en avant de la penne, les autres saturées de ténèbres et cependant étoiles d’extrême et illicite magnitude.
Pures flèches débusquant au passage la raison raisonnante et la laissant pour merde sur le sol

« Marcel Moreau est décédé ce 04 avril 2020, à l’âge de 86 ans. Un immense écrivain s’en est allé, il nous reste ses mots. Il nous reste son écriture, personnage intense et central de son œuvre gigantesque, composée de plus de soixante livres. Transféré à l’hôpital en septembre 2018, puis placé dans un Ehpad parisien, il y a attrapé le Covid-19 à quelques jours de son anniversaire. Il aura fallu un terrible virus pour venir à bout de ce colosse.
L’écrivain Marcel Moreau est né à Boussu en 1933. C’est de son Borinage natal qu’il tire son envie d’écrire, sa rage d’écrire. Car le vide culturel de sa région l’a toujours révolté. Cet écrivain à la colère saine ne se sera servi que de ses mots pour s’arracher à son milieu. Il a souvent répété que le mineur battant le charbon était pour lui une parfaite allégorie de l’écrivain au travail.
Il quitte l’école à 15 ans et devient correcteur au journal Le Soir en 1955. Il commence alors l’écriture de son premier roman, Quintes, qui paraîtra en 1963. D’emblée salué par Jean Paulhan, Simone de Beauvoir et Alain Jouffroy, il sera même en lice pour le Goncourt et le Renaudot. En 1968, Marcel Moreau s’installe à Paris, où il restera toute sa vie, écrivant chaque matin aux aurores. « Ce sont les mots qui me réveillent », dit-il.
Lire un livre de Marcel Moreau, c’est vivre en soi des aventures innommables. C’est se lever de sa chaise en hurlant des cris de joie, de révolte, des « eurêka », c’est éprouver au plus profond de son être cette gratitude, d’avoir compris, d’être compris. S’il y a trop peu d’articles à son sujet, s’il est resté beaucoup trop méconnu dans sa Belgique natale, peut-être est-ce parce qu’il n’y a pas de mots existants pour retranscrire ce qui sourdre de son œuvre.
En observant ce petit homme sombre, qu’il n’a bien sûr pas toujours été, on ne peut s’empêcher d’imaginer les mots qui tournoient en lui, si puissants qu’ils l’entourent presque physiquement. Un jour que je lui rendais visite à son Ehpad pour l’emmener manger un bon steak saignant, il m’a dit : « J’ai encore perdu des mots dans cette histoire… ».
Et son quotidien semblait voué à chercher les mots disparus. Je crois que les mots le maintenaient littéralement en vie. Et si Marcel nous a quittés parce que les mots sont partis, il nous reste ceux qu’il a laissés pour nous. Plus que jamais en ces temps étranges et difficiles, lisons Marcel Moreau » (Morgane Vanschepdael, 4 avril 2020)
Stefan Thibeau et Morgane Vanschepdael lui ont récemment dédié un film visible en ligne. Le travail le plus récent à propos de Marcel Moreau est un documentaire réalisé par Stefan Thibeau en 2018 : « Marcel Moreau : se dépasser pour s’atteindre ».
Ce que Laurence Vielle nous dit de Marcel Moreau :
C’est Vincent Tholomé qui m’a fait connaître « La pensée mongole » et je l’en remercie. Marcel Moreau… Il est parti ce mois d’avril 2020. J’ai eu l’immense chance de le rencontrer vers 30 ans, grâce à une amie poétesse, Gwenaëlle Stubbe. Il a préfacé mon recueil « l’imparfait » par un texte somptueux ; je n’oublierai jamais son regard, sa présence, sa voix. La première fois que je l’ai croisé, c’était au théâtre Poème à Bruxelles, la seconde à Paris, son appartement, un dédale, de l’obscurité, des livres, de la fumée, de l’écriture. Marcel Moreau. Chaleureux, accueillant, impressionnant. Tatoué sur mon cœur.
La poésie est la guillotine des idées reçues.
Lawrence Ferlinghetti, « Poésie, art de l’insurrection », Éditions Maelström, 2012
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