Il était connu dans trois arrondissements.
Pas pour sa vitesse.
Pas pour ses pourboires.
Mais parce qu’à chaque livraison,
il récitait un poème de Rumi.
Pas par provocation.
Pas pour le folklore.
Parce qu’il ne savait pas faire autrement.
— Bonjour, pizza pour Monsieur Karim.
Et en tendant la boîte :
“Ce que tu cherches te cherche aussi.”
Puis il repartait.
Comme si c’était normal.
Au début, les clients riaient.
Puis certains écoutaient.
Puis d’autres attendaient sa venue comme on attendait un rappel.
Une phrase qu’on ne savait pas qu’on avait besoin d’entendre.
— Un pho pour Madame Laurence ?
“Sois comme un arbre et laisse les feuilles mortes tomber.”
Un jour, un homme lui a demandé :
— Pourquoi Rumi ?
Pourquoi pas du slam ou du rap ?
Il a haussé les épaules.
— Parce que ça tient dans ma poitrine quand je pédale.
Et parce que Rumi ne livre pas de réponses.
Il livre des ouvertures.
Et puis il a ajouté, presque pour lui-même :
“Essaie de ne pas résister aux changements qui viennent.
Laisse la vie vivre à travers toi.”
On le croisait partout.
Sur son vélo bleu.
Avec ses genoux usés et son sac trop plein.
Et toujours, en bouche,
un vers prêt à tomber au bon moment.
Un jour, il a livré un silence.
Rien dit.
Rien récité.
Juste posé la commande.
Souri.
Et avant de repartir, il a laissé sur le sac une note manuscrite :
“Ce n’était pas le jour pour les mots.
Mais je suis passé quand même.”
Depuis, il n’est plus là.
Le vélo est resté attaché à un poteau.
Une fleur accrochée au guidon.
Mais parfois,
quand on reçoit quelque chose d’inattendu,
dans une boîte ou dans un regard,
on croit entendre,
au fond du silence,
un vers qui ne nous appartient pas,
mais qui nous connaît.
Et dans le cœur de ceux qui l’ont entendu au moins une fois,
quelque chose reste.
Un écho, un appui, une lumière.
“Ferme les yeux,
tombe amoureux,
reste là.”
— Rumi
Belkacem Bouasria Ouldabderrahmane
Extrait du livre : « Histoires à hauteur d’homme (et un peu plus loin) »

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