Je m’envoie des mots en chair et en os à sortir de leur trou et de l’ordinaire, à défier l’amour et la mort.
Des mots de glaise à pétrir sous les doigts, à devenir vivants.
Des mots durs et froids qui craquent sous la dent et coupent les lèvres et la langue pour la donner au chat.
Je m’envoie des vers bleus d’absinthe, la cuillère et le sucre et toutes les solitudes qui se cherchent un poète.
Je m’envoie dans la lune pleine au-dessus de nous pour le vertige et dans tes bras pour la vérité nue.
Je m’envoie tes rives, tes versants et ton sommet érigé, le grand fleuve sous tes paupières, tes éclats de rires et de lumière et toutes les ombres chinoises à danser sur les murs.
Je m’envoie le poème et tous les commencements, la poire pour la soif, Adam et Ève pour la pomme, la pluie pour les flaques.
Je m’envoie des vers qui grouillent et rongent, qui nettoient la terre de toutes ses pourrissures et laissent juste ce qu’il faut pour que la vie revienne.
Je m’envoie une bouteille à la mère en vers de préférence, la figure du père, Oedipe, la castration, Freud et tous les autres.
Je m’envoie du rouge en perfusion et de l’air dans les poumons, du Verdi et du Rap, du Voltaire et tous les blasphèmes à décoiffer les dieux et décorner les diables.
Je m’envoie l’envers du décors, et des messages avec ton doigt dressé dans ma cage aux fauves et aux folles.
Je m’envoie des mots à dormir debout au milieu de la nuit (et tutti quanti…).
Pat Ryckewaert
EXtrait de « Je m’envoie des vers…et tutti quanti »
